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Censure en France au 20e

4 – La censure en France au XXe siècle

4.1 – Temps de guerre

4.1.1 – Guerre de 14-18 :

4.1.2 – Guerre de 39-45 :

4.1.3 – Guerre d’Algérie :

4.2 – Bonnes mœurs et troubles de l’ordre public

4.5.1 – Divers exemples :

4.5.2 – La Loi actuelle permet de censurer aisément l’édition :

4.3 – Censure financière

4.3.1 – Le plus efficace : l’attaque du portefeuille

4.3.2 – La menace de retraits de subsides

4.3.3 – En France, la publication de « Mein Kampf » autorisée sous conditions

4.4 – Internet et la censure


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Temps de guerre

La censure n’a été officiellement rétablie en France qu’en temps de guerre, notamment lors des deux guerres mondiales.

Pendant ces deux guerres, les articles, dessins et photos censurés ont fréquemment été remplacés par des  « blancs ».

Guerre de 14-18 :

La censure est donc établie pendant la Première Guerre mondiale, menant entre autres à la création du Canard enchaîné en 1915, qui utilise le ton satirique pour échapper aux censeurs.

Canard Enchainé censuré pendant la guerre de 14-18
Pages du Canard Enchainé durant la Première Guerre mondiale. http://censureenfrance.onlc.fr/4-start.html

Guerre de 40-45 :

Un document de 12 pages, publié le 28 septembre 1940 et intitulé intitulé Ouvrages retirés de la vente par les éditeurs ou interdits par les autorités allemandes, recense les livres interdits durant l’occupation allemande. Elle est rédigée par Henri Filipacchi, chef du service des librairies de Hachette, et établie en collaboration avec le Syndicat des éditeurs français et des maisons d’édition. Elle comporte 1060 titres, et est composée au départ d’ouvrages français et allemands. Une seconde version de la liste « Otto » publiée le 8 juillet 1942 contient 1 170 ouvrages, classés par éditeurs. Une troisième liste, rajoutant en annexe 739 autres publications, est publiée le 10 mai 1943.

Sous le régime de Vichy, la censure est préventive : les directeurs de journaux reçoivent des consignes sur les informations à mettre en évidence ou à éliminer.

À la fin de la guerre, une première « liste noire » est dressée le 4 septembre 1944 par le Comité national des écrivains, et l’ordonnance du 30 septembre 1944 relative à la presse interdit tous les titres nés, ou ayant continué de paraître après le 25 juin 1940. L’épuration spécifique des intellectuels au niveau professionnel est régie par l’ordonnance n° 45-1089 en date du 30 mai 1945 : les comités prononcent des peines professionnelles : interdiction de jouer, d’éditer, de « prononcer des conférences et des causeries », d’exposer, de vendre, de percevoir des droits d’auteur et de reproduction. Les sanctions ne peuvent excéder une durée de deux ans. Parallèlement, les auteurs et éditeurs peuvent être condamnés par ailleurs comme collaborateurs.

Guerre d’Algérie :

La loi de 1955 sur l’état d’urgence, votée pendant la guerre d’Algérie et encore en vigueur aujourd’hui, permet la censure en autorisant le ministère de l’Intérieur et les préfets à prendre « toute mesure pour assurer le contrôle de la presse et de la radio ». Pendant la guerre d’Algérie le pouvoir saisit des journaux (notamment ceux qui évoquaient les actes de torture) sous le prétexte d’« atteinte au moral de l’armée ». Les livres La Question d’Henri Alleg1 et La Gangrène2 de Bachir Boumaza, qui dénoncent la torture en Algérie en 1958 aux Éditions de Minuit, sont censurés. Le gouvernement saisit lui-même le livre La Question le 27 mars pour « Participation à une entreprise de démolition de l’armée ayant pour objet de nuire à la défense nationale », alors qu’il a déjà été vendu à 65 000 exemplaires3.

Bonnes mœurs et troubles de l’ordre public


Il existe encore une forme de censure en France : elle est cependant du ressort des tribunaux sous la forme d’interdit de publication ou d’ordonnance.
Le fondement de l’interdiction est souvent « le risque de trouble à l’ordre public ». Le développement du cinéma et de la télévision s’est accompagné dans tous les pays de la mise en place d’interventions étatiques de type préventif. Ces interventions se sont réclamées le plus souvent du souci de la nécessité d’assurer l’ordre public et de protéger les « bonnes mœurs ».

Cette censure morale n’a pas totalement épargné la diffusion de l’écrit qui s’est considérablement élargie au XXe siècle avec la scolarisation croissante de la population. Elle s’est certainement beaucoup opérée par des mécanismes informels. Dans les bibliothèques publiques par exemple, le souci de protéger les jeunes, mais aussi les milieux populaires et les femmes, de certaines lectures, a été longtemps très prégnant : les livres abordant, par exemple, l’adultère, la sexualité ou le suicide ont fait l’objet de traitements spécifiques, de même qu’une littérature populaire jugée potentiellement immorale, comme les livres policiers, les romans sentimentaux ou les bandes dessinées. Ou bien ils n’étaient simplement pas commandés.

La loi du 16 juillet 1949 vise à protéger les jeunes lecteurs contre des écrits susceptibles de présenter sous un jour favorable des pratiques comme le banditisme, le vol, la débauche, les préjugés ethniques ou la consommation de drogues. En vertu de cette loi, les publications destinées à la jeunesse sont soumises à des contraintes spécifiques.

La Loi actuelle permet de censurer aisément l’édition :

La Déclaration universelle des droits de l’Homme adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1948 à Paris fait de l’accès à l’information un droit indéniable (article 19). Mais, à l’instar de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, il faut d’abord obéir à la Loi du pays…

Voici quelques articles du code pénal très connus.

L’article L.630 de la loi du 31 décembre 1970 instaure une censure sur les publications et objets de propagande « présentant l’usage de stupéfiants sous un jour favorable ».

La loi Gayssot (1990) réprime tout propos « raciste, antisémite ou xénophobe ». L’ article premier dispose que « Toute discrimination fondée sur l’appartenance ou la non-appartenance à une ethnie, une nation, une race4 ou une religion est interdite. » (le mot  « race » est donc inscrit dans la Loi, et a valeur juridique ? ndlr) L’article 9 pénalise le négationnisme.

La loi du 30 décembre 2004 punit les auteurs de propos provoquant « la haine ou à la violence » ou « l’injure commise dans les mêmes conditions à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap »

Jusqu’en 2004, le ministre de l’Intérieur avait le pouvoir d’interdire la vente et l’importation de publications d’origine étrangère. Cette disposition a été définitivement abrogée.

Censure financière

En France, les contentieux sont portés devant les juridictions pénales, civiles ou administratives, lorsque les parties sont représentées en France. Il arrive alors bien souvent que les décisions ne prévoient aucune interdiction mais que des amendes, dommages-intérêts et autres astreintes dissuadent les éditeurs de continuer effectivement la commercialisation d’un titre attaqué. Il y a bien censure mais non interdiction.

Le plus efficace : l’attaque du portefeuille

Selon Emmanuel Pierrat, avocat, directeur du Livre noir de la censure, et auteur de 100 livres censurés (Éditions du Chêne) il existe actuellement 450 textes de loi disparates essayant de cerner la question de la censure. Le travail d’ E. Pierrat consiste à plaider contre des gens qui « s’attaquent au portefeuille » de l’éditeur ou l’auteur, par le biais des dommages et intérêts. Ceci serait très efficace car ce genre d’affaire n’émeut pas le pays des libertés et fait frémir peu de monde, alors que le résultat, au bout du compte, est identique.

Toujours selon E. Pierrat, outre que la censure s’exerce essentiellement a posteriori, elle s’est surtout « privatisée ». L’État, conscient que ses interventions sont impopulaires, accorde à n’importe quelle association ou communauté le droit d’ester en justice au nom d’un prétendu préjudice, et d’un « intérêt général » derrière lequel se dissimulent leurs propres visions du monde, et les procès se multiplient.

Le juge Clément Schouler, et le caricaturiste Placid ont été condamnés en Cour d’appel, le 18 janvier 2007, pour le livre Vos papiers! Que faire face à la police ? Le ministre de l’Intérieur Daniel Vaillant avait porté plainte contre ce livre, relayé par ses successeurs. Le caricaturiste a été condamné à 500 euros d’amende au motif que « si le genre de la caricature admet la dérision, il ne saurait pour autant autoriser des représentations dégradantes » (il s’agit là du dessin d’un policier). En Cassation, l’arrêt fut cassé5, mais certains n’ont pu se joindre au pourvoi…

Le Syndicat de la magistrature […] regrette que ses co-prévenus, découragés par l’arrêt de la Cour d’Appel n’aient pu se joindre au pourvoi, faute de moyens financiers et observe qu’au-delà du résultat aujourd’hui obtenu provisoirement, de telles procédures ont pour conséquence de porter atteinte à la liberté de l’information et de l’expression6.

L’article L 227-24 du Nouveau Code pénal , modifié en 2007 dit bien : Le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support un message à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine, soit de faire commerce d’un tel message, est puni de trois ans d’emprisonnement […].

Couverture du livre "Vos papiers !"
Couverture de Placid, pour le livre du Syndicat de la magistrature : Vos papiers ! Que faire face à la police ? Nouvelle édition 2004, L’Esprit frappeur, 122 pages, 3 €.

La menace de retraits de subsides

Siu-lan Ko, une artiste chinoise, a été censurée. Son installation,sur laquelle on pouvait lire quatre mots:«travailler», «gagner», «plus», «moins» a été retirée. Les Beaux-Arts avaient donné sans ambiguïté leur accord à l’installation, prévue depuis décembre 2010. Selon Ko, «l’œuvre gênait des personnalités du ministère de l’Éducation, ce qui est malvenu il doit bientôt décider du budget ­annuel de l’École des beaux-arts ». Ko a exposé à Pékin une banderole qui disait « Pensez moins » sans être inquiétée7.

En France, la publication de « Mein Kampf » autorisée sous conditions

Dans un arrêt du 11 juillet 1979, la cour d’appel de Paris juge que « Mein Kampf » peut être autorisé à la vente compte tenu de son intérêt historique, mais accompagné toutefois d’un texte de huit pages mettant en garde le lecteur, qui évoque les dispositions légales en matière d’incitation à la haine raciale et rappelle les crimes contre l’humanité du régime hitlérien.

En pratique, ce sont surtout les librairies d’extrême droite et les nombreux sites Internet néo-nazis qui proposent l’ouvrage, téléchargeable aussi dans de nombreuses langues, et en vente en version « papier » sur Amazon et Priceminister.

On peut se demander pourquoi il n’est pas déconseillé aux moins de 16 ou 12 ans, un enfant de 8 ans pouvant être sensible à certains arguments évoqués, et peut-être un adolescent un peu attardé (le style est simple à lire, et les erreurs grossières invisibles des personnes naïves ou incultes 8), lequel n’ira pas lire les huit pages d’avertissement ! Bien entendu, mieux vaut le télécharger gratuitement qu’enrichir les éditions Latines ou leurs sombres revendeurs.

Internet et la censure

Bien que la Déclaration universelle des droits de l’Homme fasse de l’accès à l’information un droit indéniable, certains États semblent, comme pour d’autres média, vouloir réguler Internet. Dans certains cas, certaines associations, comme Reporters sans frontières, accusent ces États de censure. Entre 1999 et 2004, cette association s’est même fait l’écho d’une augmentation spectaculaire du filtrage.

Loppsi 2

Le Sénat vient d’adopter en deuxième lecture le projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure  dite Loppsi 2, dont l’article 4 met en place le filtrage administratif d’Internet en utilisant l’argument de la protection de l’enfance, bien que ce filtrage ne puisse faire obstacle à la pédopornographie en ligne. En revanche, un tel dispositif est susceptible de favoriser la censure sur Internet sans aucun contrôle judiciaire exercé a priori.

En 2009, lors du débat sur la loi Hadopi, le Gouvernement avait déjà avancé l’idée de mettre en place un système de « portail blanc » pour les accès publics à Internet, limité à un « Internet citoyen » correspondant à une liste fermée de sites consultables. Ce projet avait fini par être abandonné. Au nom de la défense du droit d’accès à l’information, ce projet avait déjà suscité de vives réactions.

Aux États-Unis, où le blocage de sites a priori fait aussi débat, des associations professionnelles de bibliothécaires ont souligné qu’il appartenait aux autorités judiciaires, et à elles seules, de qualifier un contenu d’illégal. En France, des associations de bibliothécaires aussi, ainsi que des associations aux buts politiques opposés se déclarent ouvertement contre la Loppsi 29

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1 La Question, Éditions de Minuit, 1958. ISBN 2-7073-0175-2 (publié pour la première fois le 18 février 1958, saisi le 27 mars 1958, réédité en 1961). Réédition par les éditions Rahma, Alger, en 1992. Source : Wikipedia, visité le 17 avril 2011.

2 La Gangrène, Éditions de Minuit, Paris, 1958. Éditions Rahma, Alger, 1992. Source : Wikipedia, visité le 17 avril 2011.

4 Incohérence : si le mot « race » désigne ici une ethnie ou une culture, les mots « ethnie », « nation » et « religion » peuvent suffire. Au besoin : il est étrange d’y ajouter « race » et non « culture » ou « peuple ». Le mot « race » en français n’a aucun fondement scientifique pour désigner une partie de l’espèce humaine. Et aucun fondement légal, sauf à évoquer des lois de 1942 ! Le mot « supposée » aurait donc été bienvenu. NLDR.

5 Cassation prononcée contre cet arrêt le 17 juin 2008 au motif « qu’en subordonnant le sérieux de l’enquête à la preuve de la vérité des faits, la Cour d’Appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »

6 Communiqué de presse du Syndicat de la Magistrature, 2006, site http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article1828.

8 « La conséquence de cette tendance générale de la nature à rechercher et à maintenir la pureté de la race est non seulement la distinction nettement établie entre les races particulières dans leurs signes extérieurs, mais encore la similitude des caractères spécifiques de chacune d’elles. Le renard est toujours un renard, l’oie une oie, le tigre un tigre, etc., et les différences qu’on peut noter entre les individus appartenant à une même race, … ». une telle confusion ahurissante entre race et espèce est frappante, mais peut séduire un petit enfant qui peut croire qu’un renard peut se croiser avec un tigre…

9 Par exemple Gauche de combat et Chrétienté.info. Voir annexes.


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